PEUPLE
Révolution des œillets, révolution orange, révolution de velours, révolution rouge. Rouge sang, rouge camarade donne ton sang, lève-toi et chante l’Internationale. Chemises rouges, chemises brunes, bonnets rouges, gilets jaunes… C’est quoi le peuple ?
Peaux-rouges, Black Power, peaux noires, jaunes, marron, blanches, violettes, vertes…
Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sont là… United Colors of bande de cons. Ah bon, c’est quoi ces conneries ? C’est de la pub ou de la démagogie ? C’est quoi le peuple ? C’est la populace ? Le peuple vertueux ? Le peuple souverain ? Le peuple élu ? Ou le peuple qui vote ? Le peuple de tous les gars du monde qui veulent bien se donner la main ou celui qui tape du pied et lève le poing ? Le peuple de gauche, de droite, d’extrêmes de tout bord et tout poil. De tous horizons, celui qui va ou met en prison. Raciste, beauf, populiste, poujadiste, angélique, vaillant, courageux. Ouh la la… C’est compliqué.
Peuple, nom masculin et adjectif invariable.
Ensemble d’êtres humains vivant en société, sur un même territoire, parfois non, constituant une communauté culturelle et ayant à minima, et parfois non, une origine commune. Pays, ethnie. Il y a le peuple, l’ensemble d’individus soumis aux mêmes lois et qui forment une nation. De ce point de vue, messieurs Macron et Sarkozy en font partie. Soumis aux mêmes lois, eh oui vous avez bien entendu messieurs, soumis aux mêmes lois. Dingue, non ?
Bon, on l’aura compris. Peuple est un mot polysémique. Poly : plusieurs comme polycopie, polyvalent. Sémique qui vient de sème, qui signifie sens, signifié, signifiant. Sème comme qui sème le vent récolte le tempo, la colère, le feu qui brûle, les pneus fumants et voies d’accès bloquées. Autoroutes bloquées. Péage. Marre de raquer. De payer.
Très facile de dénommer des gens en colère de populace. Gens de gauche, gens de droite, généreux, éclairés, conscients. Ou pas. Gens en colère en tout cas. Pas contents. Et qui existent. Quels qu’ils soient, les prendre en compte car faisant partie de la société civile, de la réalité, de la vie, les gars. Ohé, vous comprenez ? Vie. Donc famille, donc enfants, loyers, budget bouffe, chauffage, logis, rentrée scolaire, vêtements, médecin, voiture, carburant, essence, diesel. Tiens, ceux qui ont le moins de fric, le moins de moyens roulent en diesel, ben on va les taxer. Donc périphéries des grandes villes et espaces ruraux, pas contents.
Peuple qui vient du latin populus, qui désigne l’ensemble des citoyens pouvant voter dans la constitution romaine. Peuple comme peuplier, planté par les romains et ressemblant à un groupement humain. Arbres en colère, feuilles qui s’agitent. Psssh… Ca fait du bruit, ça fait peur à ceux qui restent dans leurs bureaux, cabinets ministériels ou palais avec jardin et portails ultra-sécurisés. Peuple qui depuis le dix-neuvième siècle, l’émergence et la constitution des nationalités, se trouve inscrit dans le cadre d’une construction politique, donc jouissant de droits sous une nation souveraine.
Il y a aussi, ah le fameux, le voilà, le voilà le sale mot : le peuple au sens péjoratif. Beurk. Le peuple qui pue, le peuple le pire, celui qui transpire, celui qui trime, fume des clopes, sent des aisselles, roule au diesel, est plein de fiel et bien entendu, postulat intellectuel irréfutable, indéniable et toujours bien à propos, est con. Le peuple con.
Le peuple non pas populeux mais plèbe, ce magma grouillant d’existences obscures et désagréablement suantes. Le peuple à prononcer du bout des lèvres comme peu ou peuh !
Eh oui, comme peu. Qui compte peu, s’arrange de peu, n’en peut plus. Le peuple en tant qu’entité sur laquelle le pouvoir s’exerce. Qui fait guerre aux taxes, impôts, qu’ils soient moyenâgeux ou dans une logique toute capitalistique. Moderne, quoi. Le peuple n’est pas moderne, c’est ça le problème. Il est rétrograde, rétif aux avancées invoquées par les restructurations et réformes. Gaulois aux dents gâtées, qui fume des Gauloises ou des Gitanes.
Quoi qu’il en soit, peuple qui va devant l’Elysée et chante la Marseillaise. Et là, tout à coup, ça n’a plus du tout le même sens d’entonner l’hymne. Plus de foot, plus de commémorations officielles ou d’institutionnalité politique. Juste un vent, plus ou moins léger, fort, virulent, sain ou réfléchi, selon les régions, localités, individus et types d’organisation, un vent frais, chaud, un vent qui souffle, qui aimerait bien se débarrasser de ce qui gêne, fâche, empêche et obscurcit.
Un vent, une brise, une tempête. Peuple non éclairé, vous avez dit ?
En tout cas une intuition, un constat, une intention clairement formulée et une réaction.
TOURISTE
Place Reial à Barcelone. Les façades jaunes et balcons en fer forgé ont leur propre architecture, un silence, mémoire des secrets du passé. Les arcades plissent sous les arbres et les lampadaires s’incurvent comme des sourcils sculptés. Les passants qui traversent ce rectangle de pierre ont l’air de figurants, d’ombres animées dans un décor ancestral. Pureté des lignes, vide, sagesse, malgré les gens et les restaurants. Sentiment d’une place envahie, une profondeur troublée par des présences superficielles et agitées. On observe, on voit tout un film…
Chacun joue un rôle en terrasse. On sait qu’on est observé du coin de l’œil par son voisin de table, regards furtifs, inscription photographique, instantané, jugement micro chronométré. Lenteur des gestes, décontraction, délicatesse pour touiller le sucre dans le café, lunettes de soleil.
La pierre se fiche de ces simagrées. La pierre supporte le poids des années. Sur sa chair, tant de stries, tant d’histoires… Les pigeons logés sur les corniches ont l’air de statues, ne se prennent même pas la peine d’observer cette scène ordinaire citadine. Seules les intéressent les mies de pain que lanceront d’hypothétiques touristes…
Et moi touriste, assistant à tout cela, je n’en perds pas une miette.
( Chronique radio de ce texte… )
PLAGE CITY
Le panneau indique : « Vias-Ville ». « Vias-Plage ».
La distinction nous laisse supposer qu’il y a une vraieville où les gens habitent, vivent, paient un loyer, exercent une activité… Et une autre, ville en dehors de la ville, cité de pacotille où tout ne serait que consommation, glace à la vanille, bronzage et farniente. Les cafés, néons, boutiques, locations de pédalos et autres profusions mercantiles sont là pour nous le rappeler…
L’hiver, toute cette agitation sonore et bariolée est en sommeil, touristes absents obligent. Glaciation… La ville reprend ses droits de « fausse » ville : le silence et les rues vides font penser à un décor de cinéma. Devenue fantôme, cette drôle de « city » nous invite soudain au voyage… On se prend à imaginer des scènes de tournages insensés : westerns avec duel final dans les allées désertes, thrillers en toc dans un Las Vegas miniaturisé… Les « Valseuses » de Bertrand Blier ne sont pas loin : Dewaere et Depardieu, jeunes et beaux comme des dieux, surgissent à vélo de ces allées mortes, et s’enfuient en éclatant de rire sur un morceau endiablé…
Au printemps, bourgeons éclatants, les maillots de bain, bijoux fantaisie, crèmes solaires, paréos et jeux vidéo reviennent en force. Eclosion brutale qui atteindra son pic au cœur de l’été : en plein mois d’Août, ça sent la barbe à papa et le steak-frite. C’est dégoûtant, mais on a décidé de passer de bonnes vacances. Alors on claque, on flambe, on oublie qu’on est pauvre et qua ça pue, on investit dans le short et les tours de manège.
On l’a imaginée, la mer…
Les allées centrales ne mènent qu’à un seul et unique but : la plage, paradis sablé. Il suffit de gravir les escaliers en bois, ponton de mer d’avant la mer, de fouler cette poudre d’or et de dégrafer les esprits, libérer les corps… Drague, volley-ball, pique-nique, eldorado des bronzeurs… Ici tout le monde a sa place.
Trois jeunes garçons en jeans, baskets et casquettes de sport, viennent de monter les marches. Ils ne sont pas en vacances, n’ont pas de maillot de bain. Sont bronzés, sans exposition au soleil. Ils ne se dévêtissent pas. Ils restent sur le ponton et ne font rien. Ils regardent les autres se baigner mais ne participent pas à la scène. Ils pourraient être en bas de la tour d’une cité, en face du supermarché d’une quelconque galerie commerciale ou bien sur n’importe quel boulevard de n’importe quelle grande ville… Zonards, banlieusards, loulous des villes, réelles ou artificielles… Ils contemplent passivement ce à quoi ils n’ont pas droit. Enfin, c’est ce qu’ils pensent…
Ils ont intégré le rejet et assassinent chaque jour leur imagination. Ils s’interdisent le plaisir gratuit de se tremper les pieds dans l’eau. La détente, le bonheur des petites choses, ce n’est pas pour eux.
L’ennui, si.
Ca pourrait s’appeler Fric city ou Neverland…
Ca pourrait être n’importe où.
Ici l’exclusion est la même.
(DES)ESPÉRANCE(S)
Quand on est né en 68 on hérite de ceux qui l’ont « fait », d’une certaine dose d’espoir. L’imagination au pouvoir. Sous les pavés, la plage. Mai 68. Et puis patatras, le choc pétrolier dans les années 70. La crise devient un fait sociologiquement parlant, récurrent et totalement assimilé. On n’entend parler que de chômage et de crise à longueur de journées…
A l’aube des années 80, l’intelligentsia de gauche se meurt, celle de droite part en vrille. La foule émue met allègrement un pied dans le gouffre, se réunissant en grande pompe rue de Solférino pour chanter l’Internationale qui n’est jamais advenue, et fêter sous les flonflons et fleurs de crépon l’arrivée au pouvoir de celui qui cassera patiemment et savamment les idéaux de gauche et les acquis sociaux. On chante, on danse, on fait la fête alors qu’on est précisément en train de creuser sa propre tombe. L’intérêt des grands idéaux et des acquis gagnés à coup de faucille, de marteaux-piqueurs et de piquets de grève, c’est que l’on peut ensuite les contempler de loin avec nostalgie comme on consulterait un album photo ou une collection de papillons. Morts, en l’occurrence. Épinglés et mis sous cadre, juste pour faire joli.
En ces temps de trumpisme galopant et de macronisme branché, a-t-on encore le loisir, le droit, la force et l’envie d’imaginer un autre monde ? Sans passer pour un ringard et un « rêveur » ? Oh mon Dieu, rêver quelle horreur !
Vous avez la réponse, vous ? Si oui, nous contacter de toute urgence. Dans le lot, je devrais bien être informée.
On ne me dit jamais rien à moi…